LES ÉCOLES GARDIENNES À FRAMERIES  [1952 › 1957]

En 1952, Dupuis présente un projet pour une petite école maternelle à construire entre murs mitoyens dans la rue Dufrasne à Frameries. L'administration rejette ce projet et préfère adopter une solution plus conventionnelle et sans risques. Le volume, en « U » sur le plan, est articulé autour d'une petite cour et est surmonté par deux grandes pentes de toiture qui vont chercher la lumière au sud pour la conduire jusque dans la classe et dans la salle de jeu.

Si cette solution planimétrique est récurrente dans d'autres projets (la maison Evrard réalisée avec Bastin, la maison Everaert à Uccle, la maison Adamantidis, etc.), l'aspect élancé des volumes étonne par son caractère imposant. L'espace, relativement limité, acquiert une monumentalité tout à fait en accord avec rôle institutionnel du bâtiment. La leçon d'Asplund sur l'utilisation de la ligne oblique est appliquée avec mesure et élégance si l'on considère l'échelle assez réduite de l'intervention et la richesse plastique renfermée dans une moindre quantité de gestes constituants clairs. Dupuis parvient à concentrer tout un univers sur une surface de 12,7 x 35,2 mètres. Chaque pas est une réelle découverte. L'aspect scénographique de l'entrée, dessinée de manière à accentuer le mouvement diagonal et à respecter le cérémonial qui l'accompagne, n'est pas négligé. Comme l'écrit Bontridder dans le numéro 61 d'Architecture, Dupuis est capable de se transformer en une sorte de Merlin pour enfants pourvu qu'il puisse leur offrir un monde de rêves et de jeux. L'aspect ludique apparaît de façon tout à fait explicite à travers les objets dessinés en tant qu'éléments architecturaux, décorations fixes et points de référence dans l'espace. En fait, ce projet annonce l'une des réalisations parmi les plus significatives: l'école gardienne de la place Calmette à Frameries.

Projetée en 1953 en collaboration avec Simone Guillisen-Hoa et Émile Fays, elle sera réalisée entre 1956 et 1957. Dupuis et René Panis en ont rédigé ensemble le projet préliminaire. Ils avaient déjà eu l'occasion de travailler ensemble sur plusieurs autres projets (l'école à Blaton, la Maison communale de Frameries, le Centre de Physique nucléaire de l'Université de Mons, etc.). Située à proximité de la cité Louis Pierard, oeuvre de son maître Victor Bourgeois, l'école maternelle s'intègre dans un programme d'infrastructures que la commune de Frameries avait entrepris déjà quelques années auparavant pour offrir à la population locale plus d'autonomie ainsi qu'une meilleure qualité de vie urbaine. Cette école est conçue avec tout une série d'éléments qui en ont fait, des années durant, un modèle éducatif (jusqu'à lui valoir le prix de la Biennale de Venise). Il s'agit sans aucun doute d'un des projets de Dupuis, dans lequel ses différentes expressions et réflexions se combinent et lui permettent d'agir de manière synthétique et équilibrée. Rien n'est laissé au hasard, aucun élément n'est gratuit. Raison, créativité et poésie.

Il dessine l'école comme s'il s'agissait d'un jouet, en se souciant avant tout des besoins physiques et psychologiques des enfants. Il introduit la notion de particularité à une époque où la standardisation devient une mode, en particulier pour les projets du domaine public. Chaque espace possède une identité qui lui est propre, facilement reconnaissable par les enfants grâce à l'utilisation judicieuse de la polychromie et de différentes volumétries.

Elle est située en contrebas d'une école primaire existante à laquelle elle est rattachée par une rampe légèrement inclinée. Le garde-corps métallique a deux mains courantes: une au niveau de l'enfant, l'autre à celui de l'adulte. On peut pénétrer dans le bâtiment par deux entrées situées des deux côtés de l'atrium: l'entrée principale donne sur la rue et sur la cité, et se trouve à proximité des cours de récréation, l'autre a pour simple but de relier le bâtiment au reste du complexe scolaire existant.

L'articulation planimétrique forme un « L » ouvert. La structure de l'édifice est la traduction du programme selon la libre interprétation imaginée par Dupuis où chaque pièce exprime sa propre fonction. Du côté est, près de la rampe, on trouve l’entrée, un atrium, ainsi qu’une série d’espaces techniques dont le corps central est constitué par un large couloir orienté au sud donnant accès aux trois salles de classe prévues par le programme. Celui-ci peut également se transformer en espace de jeu ou de travail. Une salle polyvalente, qui sera utilisée principalement comme salle de jeu et comme salle des fêtes, se trouve au fond du même couloir. Dupuis soigne de très près tout une série de détails fonctionnels: dans le couloir, chaque classe possède ses propres vestiaires et ses propres meubles de rangement. Dans chaque classe, on trouve un petit wc accessible par un sas que les enseignants peuvent contrôler à travers un hublot. Le confort acoustique et thermique ainsi que la hauteur des éléments de la décoration garantissent à l'enfant sérénité et sécurité de mouvement dans un espace familier et accueillant. Dupuis utilise des silhouettes pour indiquer où se trouvent l'entrée, les salles de classe, les salles de jeu, etc. Comme dans d'autres projets similaires (« Ma Grande Famille », Ghlin), on remarque la tentative de différencier les espaces afin de donner aux enfants l'impression de vivre dans un environnement en constante évolution.

La forme de la salle principale rappelle un chapiteau de cirque et, de l'extérieur, elle fait allusion aux terrils de la région. L'inclinaison est à 45° et la surface externe est recouverte de cuivre. La salle est en partie vitrée sur ses parois verticales et quelques bandes sont découpées dans le toit pour offrir à l'espace une lumière zénithale. D'extraordinaires figures d'animaux imaginaires en tôle découpée pendent au plafond. Ces décorations ont aujourd’hui disparu. L'intimité évoquée par le volume est tout à fait complémentaire au volume fonctionnaliste plus bas des classes. Ici le dosage de l'expression, par contraste, est presque parfait.

Le projet du jardin fait de cet espace un univers complémentaire du bâtiment, pensé par Dupuis pour offrir aux enfants la joie d'une enfance heureuse et gaie, en opposition avec l'atmosphère triste des environs. En réalité, ce sentiment naît d'un besoin de communiquer d'une certaine manière la chance qu'étant enfant il avait lui-même connue, puisque issu d'une famille aisée, il pouvait jouer dans un grand jardin privé, qui était en fait le seul de sa ville où la majeure partie de la population vivait très simplement. Le jardin conçu par Dupuis constitue un exemple de composition éclectique où cohabitent un labyrinthe de parterres, un bosquet de cerisiers du Japon, une rampe qui s'élève légèrement vers le ciel, donnant un instant aux enfants le sentiment d'être grands, pour redescendre aussitôt vers la plaine de jeux, après avoir longé un barbottoir et un bac à sable triangulaire situé près d'un pigeonnier. Un sentier de pierres encaissé dans les pelouses parcourt tout le périmètre du jardin. Il s'en dégage un sentiment de profonde libération et de vivacité à travers peu de choses très simples. Le pigeonnier, qui a aujourd’hui disparu, a une silhouette étrange qui consiste en un cylindre reposant sur quatre petites colonnes très fines en métal, et surmonté d'un toit conique. Le toit et les petites colonnes sont noirs, le cylindre est blanc. La structure du pigeonnier ressemble à une fusée de celles que l'on utilise pour les feux d'artifice, elle possède toutefois un caractère monumental. Elle se dresse sur le terrain comme un signe pour rappeler que nous sommes dans un lieu destiné aux enfants, aux jeux, aux rêves.

L'école est située sur un plateau exposé au vent et c'est pour ce motif, et pour des raisons d'isolation, qu'on a eu recours à un système de construction mixte: ossature en acier et murs portants. Un toit et des murs légers et vitrés, des colonnes élancées, des murs portants perpendiculaires aux façades principales. Dans le couloir et le hall, la toiture repose sur des poutrelles ipn. Entre les classes, classes et hall, hall et réserve et chaufferie, les murs sont portants. Ils servent d'isolants. Les murs transversaux indépendants dans la salle de jeu forment pourtant un élément nouveau. Ils ouvrent les façades, emportent le regard vers l'extérieur et suscitent un effet protecteur. C'est le premier bâtiment dans lequel cette clarté a été utilisée de façon conséquente. Les salles de classe sont à double ventilation. La toiture basse, en direction de la cour, s'élève vers le couloir pour le surmonter. Beaucoup d'éléments sont dédoublés, comme pour les portes des salles de classe donnant sur le jardin où les enfants ont une poignée de porte et une fenêtre à leur portée, tandis que les adultes ont une poignée et un hublot à leur hauteur. Les portes sont munies d'un mécanisme destiné à éviter de s'y coincer les doigts. •

Crédit photographies :
1-2-3-4- Alexis, archives Jacques Dupuis;
5- Archives Jacques Dupuis.

JACQUES DUPUIS

ÉCOLES GARDIENNES FRAMERIES  [1952 › 1957]
1/5Frameries, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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ÉCOLES GARDIENNES FRAMERIES  [1952 › 1957]
2/5Frameries, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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ÉCOLES GARDIENNES FRAMERIES  [1952 › 1957]
3/5Frameries, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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ÉCOLES GARDIENNES FRAMERIES  [1952 › 1957]
4/5Frameries, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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ÉCOLES GARDIENNES FRAMERIES  [1952 › 1957]
5/5Frameries, Jacques Dupuis© Archives Jacques Dupuis