LA MAISON DE RACKER  [1964 › 1965]

Entourée par une végétation dense et variée, une ancienne carrière est devenue étang après que l'eau se soit infiltrée dans le creux. Il s'agit du terrain choisi par la famille De Racker pour faire construire leur maison, à l'abri des lotissements, dans un cadre discret protégé par d'autres vastes propriétés. L'architecture de la maison est dessinée en accord avec la courbure de la rive de l'étang, dans une volonté d'embrasser le paysage vers lequel elle s'ouvre généreusement. Le ciel est délimité par les frondaisons des arbres qui constituent une protection ultérieure pour les habitants de la maison.

Côté rue, les seules ouvertures sont l'entrée, légèrement dissimulée, et la grande porte en bois du garage qui s'étend sur la façade telle une grande toile de couleur sur une matière plus inerte. Le fait qu'un caractère pictural plus explicite transparaisse à travers les réalisations de cette période n'est pas un fruit du hasard. L'épuration des masses de construction et la réduction des détails encouragent Dupuis à concevoir les compositions de manière plus condensée et toujours plus abstraite. La dématérialisation, principe intuitif qu'il adopte dès ses débuts, exalte l'ensemble, procurant un caractère unitaire à l'édifice.

L'espace intérieur est dominé par le salon rectangulaire à l'extrémité duquel se situe le bureau. Un volume décalé, également rectangulaire, accueille la cuisine et les chambres. L'articulation planimétrique est aisément déchiffrable: l'atrium d'entrée sert de charnière entre les deux volumes principaux; près du mur nord du salon, on trouve le garage dont les murs, dépassant leur simple fonction d'enveloppe protectrice, se prolongent pour compléter la composition. Les pentes de toiture très légèrement inclinées raccordent tous les éléments entre eux, protégeant tour à tour les fenêtres, les murs davantage exposés aux intempéries et l'entrée. Les chambres sont défilées par rapport à la circulation principale. Orientées plus discrètement vers l'étang, avec une façade revêtue de bois, elles sont presque inaccessibles aux regards extérieurs. La terrasse du salon est suspendue afin d'accentuer le contraste entre l'espace intérieur et la nature. Pour obtenir cette ample surface, Dupuis réalise une dalle suspendue, posée sur des colonnes profondément ancrées au sol. Le revêtement de sol est composé de grandes dalles de pierre bleue disposées de manière irrégulière et soulignées par des joints en ciment blanc. Le contraste entre la luminosité de la surface, la nature sombre et enveloppante et le ciel surplombant le paysage provoque un effet imprévisible.

Sous la dalle de la terrasse, le terrain conserve son inclinaison naturelle jusqu'au volume du sous-sol de la maison, où sont découpées quelques fenêtres afin de ventiler les locaux. Grâce à cet artifice, la vue de la terrasse à partir de l'étang est un spectacle imposant, la zone d'ombre sous la dalle accentuant la légèreté et l'horizontalité de la construction. Il est possible d'accéder au jardin et à l'étang à partir de la terrasse grâce à un escalier dissimulé dans la végétation, volontairement mis à l'écart.

Bien qu'étant développée horizontalement, la maison domine l'espace extérieur défini et circonscrit par une ceinture de végétation et surplombé par un ciel qui semble lointain. Ce sentiment est encore accentué par la confrontation entre les murs de pierre escarpés et les arbres élancés. Avec le temps, l'atmosphère de l'endroit est devenue toujours plus sombre à cause des arbres qui ont rapidement recouvert tous les espaces extérieurs. Les images d'époque nous montrent des intérieurs lumineux, envahis par les images de ce paysage inhabituel.

Par ailleurs, il faut savoir que Dupuis avait volontairement accentué cette atmosphère en encourageant ses clients à choisir des couleurs foncées qui donneraient l'impression de pénétrer dans une caverne, un antre protecteur, pouvant aussi bien s'ouvrir vers le paysage que se replier dans l'intimité la plus secrète. La lumière entre délicatement à travers les angles les plus inattendus, brisant ainsi la perception visuelle conventionnelle d'une géométrie orthogonale. Le jeu des lumières exerce une pression sur les espaces intérieurs, notamment dans le salon, où l'orientation vers l'étang est accentuée telle une véritable propulsion. Un croquis conservé par madame De Racker montre l'image allégorique que Dupuis avait à l'esprit pour leur maison: telle l'illustration d'un conte, les éléments de sa pensée sont exprimés à travers une image surréelle et séduisante. Les proportions des éléments sont déformées pour accentuer le choc des contrastes entre le clair et l'obscur, l'air et l'eau, l'intérieur et l'extérieur. Dupuis dessine certains meubles et certains détails: un guéridon en marbre, la table du salon, l'ensemble des meubles du bureau, une décoration murale en fer forgé pour l'atrium d'entrée.

Certains matériaux utilisés pour les intérieurs sont choisis de manière stratégique: le plancher du salon en dalles de ciment noir, la dalle en marbre clair au-dessus du radiateur du salon prolongeant l'effet de la terrasse vers l'intérieur (de la même façon que les avancées des toitures prolongent les plafonds des pièces vers l'extérieur), et les deux murs en pierre de taille apparente. Dans le premier se situe le feu ouvert qui se prolonge à l'extérieur avec une cheminée rectangulaire garnie de la même façon, dans l'autre se trouve un aquarium que Dupuis aurait souhaité réaliser à la verticale, par opposition à l'étang, mais qu'il sera par la suite amené, pour des raisons techniques, à construire de manière plus conforme. Comme le Parador, l'allusion aux éléments — air, feu, terre et eau — est concentrée dans l'assemblage d'un nombre limité de composantes qui engendrent une relation spatiale entre eux. Dupuis combine ces éléments dans un espace réduit, sans en accentuer le caractère symbolique et tout en permettant à chacun d'entre eux de conserver une dimension légère, sublimée.

Les transparences entre la nature et l'intérieur de l'habitation, ainsi que les perspectives diagonales obtenues grâce à une disposition judicieuse des ouvertures constituent le concept de base de la composition. Enfin, le mouvement des personnes avec pour toile de fond le paysage composé de l'étang et de la végétation luxuriante vient compléter l'architecture. •

Crédit photographies :
1-2-3- Alexis, archives Jacques Dupuis;
4- Archives Jacques Dupuis.

JACQUES DUPUIS

MAISON DE RACKER  [1964 › 1965]
1/4De Racker, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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MAISON DE RACKER  [1964 › 1965]
2/4De Racker, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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MAISON DE RACKER  [1964 › 1965]
3/4De Racker, Jacques Dupuis© Alexis, archives Jacques Dupuis

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MAISON DE RACKER  [1964 › 1965]
4/4De Racker, Jacques Dupuis© Archives Jacques Dupuis